La nuit avait été longue. Peu fructueuse. Emiya l'avait passé à quadriller la zone et à essayer de localiser le maximum de participants à cette guerre. Le résultat avait été plus décevant qu'il ne l'avait espéré. Malgré ses facultés de héros, la réplique de St Petersbourg était parfaitement conforme à ce qu'il savait de la réalité. En s’étendant sur plus d'un millier de kilomètres il lui avait fallu plusieurs heures pour en parcourir la grande majorité. Il avait finis par repéré un petit groupe au milieu de la nuit mais préféra rester en dehors de leur discussion. L'Archer ignorait totalement l'état de leurs relations et s'il avait la moindre chance de tomber dans un piège, il n'aurait aucune chance d'y réchapper face à au moins deux servants et leurs maîtres. Une petite tête blonde parmi les protagonistes lui avait arraché un sourire. Comme il s'y attendait, le gamin dont il avait croisé le chemin dans la mer chimérique s'était lui aussi retrouvé propulsé dans cette guerre.

Emiya soupira, ce n'était plus vraiment le moment de repenser à leur aventure face au Kraken. Quelque chose d'important venait d'attirer toute son attention : un individu isolé camouflé sur un toit. L'Archer était déjà passé à cet endroit quelques heures plus tôt et il n'avait rien remarqué. Se pourrait-il qu'un tel déguisement ait pu tromper ses sens aiguisés ? Peu probable et en même temps... s'il s'agissait d'un Servant ou d'un Master doué dans ce domaine, il pouvait facilement s'être fait berné. Cette pensée le dérangeait.

« Faire cavalier seul pendant une guerre... c'est une très mauvaise idée. »

Un léger choc et une altération de l'air autour de Shiro précédèrent son arrivée sur le toit. Il avait abandonné sa forme spirituelle et se tenait dans le dos de son interlocuteur, prêt à frapper si la moindre menace poindrait. Malgré son désir de rester en dehors de la guerre, il se sentait obligé d'aborder ce mouton noir qui faisait bande à part. Pour le moment il ne le considérait ni comme un ennemi, ni comme un allié, mais une rencontre en comité réduit pourrait apporter beaucoup à l'Archer.

Archer haussa un sourcil. L'attitude de son interlocuteur n'était pas normal. Quand quelqu'un vous tombait dessus en plein angle mort, la réaction normal était de se retourner pour faire face à l'éventuel menace. Mais ce personnage atypique ne semblait pas le moins du monde intéressé par cette option. Ce qui voulait dire deux choses : soit il se sentait en sécurité, soit il ne considérait pas le héros comme une menace. Dans les deux cas, il sous-estimait le Servant et cette erreur lui serait fatal.

« L'information à un prix. Et quand on est sur le champ de bataille, c'est sa vie qu'on met en jeu. »

Une épée apparut dans sa main droite et il la présenta à l'étranger en la tenant à deux mains. De cette manière, il espérait lui faire croire qu'il appartenait à la classe Saber. Désinformer un espion était le meilleur moyen de prendre l'avantage sur lui. Toutefois, Archer restait sur ses gardes. Il était arrivé ici en second, ce qui voulait dire que le toit pouvait certainement être piégé. Ou pire, l'homme à qui il avait à faire s'il était un Mage, serait accompagné d'un Servant caché sous sa forme spirituelle. Auquel cas, il aurait à faire à deux menaces au lieu d'une seule en plus de l'effet de surprise.

En reconsidérant ses options, Emiya estima qu'il était en moins bonne posture qu'il ne l'aurait cru, ce qui lui laissa un goût amer dans la bouche. Ses menaces pourraient très bien se retourner contre lui et le mettre dans une position difficile dès le premier jour de guerre. Son Master n'allait pas apprécier... mais au fond de lui il s'en fichait éperdument. Il ne souhaitait jouer le jeu de personne, que ce soit le Graal ou l'un de ses élus. Il agissait par lui-même et c'était le plus important.

« Je te conseille de me faire face quand je te parles ! »

Le visage de son interlocuteur se dévoila enfin. Archer eu un moment de latence en apercevant l'innocence de ce fasciés. N'importe qui d'autre aurait été apaisé en voyant cette tête d'ange, mais le Héros n'était pas n'importe qui. Sa méfiance naturelle était du genre tenace, pour autant il n'était pas le type de personne à attaquer sans savoir dans quoi il s'engageait. Aussi préféra-t-il glaner plus d'informations au lieu d'en venir directement au règlement de compte. La Guerre avait peut-être débuté, mais il n'avait jamais souhaité y participer activement.

« Sur ce point nous tombons d'accord... »

Il marqua une pose sans baisser sa garde. En admettant qu'il partageait le même point de vue que cet inconnu, il endormait peut-être sa vigilance mais en aucun cas il ne lui donnait sa confiance. Emiya le considérait toujours comme une menace ou un moyen d'en savoir plus sur les ennemis qu'il devrait sûrement affronter. A commencer par lui-même.

« … à t'entendre on croirait que tu n'as pas besoin d'un Servant. Mais puisque tu ne sembles pas effrayer par ma lame, je suppose qu'il n'est pas bien loin. »

Sous-entendre qu'il savait avoir à faire à un Master n'était pas une hypothèse infondée. Archer avait eu suffisamment d'informations pour en déduire que son interlocuteur n'était pas un esprit héroïque. Si ça avait été le cas il aurait été beaucoup plus méfiant ou agressif. L'excès de confiance des sceaux de commandements étaient la marque de fabrique des Mages, son instinct en avait la certitude.

« Puisqu'on en parle, je me demande bien ce que tu attends de lui et du Graal... »

Le Master marquait un point. Cette guerre virtuelle n’était qu’une vaste blague orchestrée par l’association des mages et le Graal lui-même. Le point positif était qu’aucune mort n’aurait d’impact dans la réalité, c’était une décision pleine de bon sens que même lui pouvait accepter. Mais les principaux défauts de ce système restaient les mêmes que les anciennes guerres : des héros servants de chair à canon pour réaliser le vœu de n’importe quel mage assez fourbe pour rester le dernier en vie. Le concept même de cette guerre du Graal était une aberration qui mettait en danger le monde entier. Qu’il s’agisse d’une réalité alternative où personne n’aurait à mourir ne changeait absolument pas le fait qu’à un moment où un autre, un psychopathe pouvait parfaitement demander au Graal d’éradiquer la moitié de l’humanité. Et vu l’empathie de cette coupe à souhait, elle n’éprouverait aucun remord à faire de ce cauchemar une réalité. Archer avait consacré sa vie à combattre la plupart des monstres modernes qui cherchaient à changer l’équilibre de ce monde. Et il ne comptait absolument pas s’arrêter après sa mort.

« Il est rare de croiser un mage n’ayant aucun désir mégalomane vis-à-vis du Graal. Voilà quelque chose que je respecte et approuve… »

Dans un soupir Archer ferma les yeux et posa son épée sur l’épaule. Sa conscience s’était apaisée à l’instant même où son interlocuteur avait parlé avec franchise. Le mensonge était quelque chose qu’il connaissait bien, ayant passé le plus clair de son temps à se faire passer pour quelqu’un d’autre. Même son identité était une invention. Emiya Shirô était un anonyme, une construction mêlant le vrai et le faux pour donner naissance à un pur produit héroïque. Par conséquent, il pouvait dire avec précision lorsqu’on lui mentait ou non. Et ce mage semblait parfaitement honnête.

« Personnellement, je ne m’intéresse ni au Graal, ni à cette guerre. Malheureusement, je ne pourrais choisir mes batailles éternellement. Alors fait en sorte de ne plus jamais recroiser ma route. »

Menace ou simple avertissement, le ton du Servant était trop neutre pour qu’on puisse le déterminer. De toute façon, il avait déjà disparu avant même que son interlocuteur puisse appréhender sa réponse. Archer souhaitait quitter les lieux avant l’arrivée de son Master. Il lui aurait été extrêmement déplaisant de devoir se battre contre quelqu’un qu’il respectait à présent. Toutefois, il n’était pas naïf. S’il ne mourait pas d’ici là, il finirait inévitablement par recroiser sa route et n’aurait plus vraiment le choix.
Voilà pourquoi il haïssait le Graal.