Eve déteste le jaune poussin. Elle trouve ça moche, sur le bout de tissus qui lui sert d’uniforme. Elle aurait aimé les ourlets jaune pastel mais ce qu’on lui avait fourni à son arrivé faisait d’elle un véritable petit poussin, effet encore plus accentué par son chignon lâche blond par-dessus le marché. Plus encore, cette couleur l’empêchera à jamais de porter une fleur dans ses cheveux comme elle aime le faire et Siam venait de lui en donner deux magnifiques, d’un rouge éclatant, comme pour la narguer. Aussi, alors que de coutume, il aurait été l’heure qu’Eve se charge du cours de conjuration de la classe démocratique, elle avait déserté la classe en laissant ses élèves plancher sur des sorts bourrés d’erreur qu’elle avait confectionnés la veille.
En y repensant, la blondinette eut un sourire mutin. Les consignes étaient claires : corriger le sort et le rendre, sans le tester. Et bien que la jeune femme les aient avertis des dangers d’essayer un sort imparfait, elle était absolument certaine que certains s’y tenterait pour fanfaronner. Si la correction était bonne, il serait couvert des culottes de toutes jeunes femmes de la classe, la sienne comprise. Mais s’ils échouaient à trouver la bonne réponse … La salle serait pleine de lapin cornu et elle n’aurait plus qu’à les laisser mariner pour leur apprendre l’humilité.  Le sourire d’Eve s’accentue et une lueur malicieuse apparait dans ses prunelles couleur d’écorce. Elle est très satisfaite de son idée et elle est certaine que Virgile ne manquerait pas de s’amuser à son tour en entrant dans la classe. Après tout, il aurait vingt-quatre heures pour terroriser ces pauvres bêtes avant que le sort ne s’annule et ne rende leur liberté aux élèves.

Miss Reinhart referme son livre sur la faune magique d’un geste sec et se lève pour aller le ranger lorsque la porte de la bibliothèque coulisse sur ses gonds. Un pas inconnu résonne dans les rayonnages vides de monde, tandis qu’Eve tourne la tête vers le jeune homme qui sort de l’ombre des battants. Si la couleur violet améthyste de l’uniforme visiteur lui saute à la gorge, la jeune femme n’en montre rien et se contente d’adresser un sourire poli au brun, typé de l’hémisphère sud. Sourire auquel il répond, faisant légèrement rosir les pommettes de la professeur. Le simple fait qu’il la tutoie la met encore d’avantage de bonne humeur. Malgré qu’elle ait insisté, sa classe s’était toujours arrêté à Mlle Reinhart au lieu de son prénom, ce qui avait le don de lui taper sur le système et de la faire bouder pendant les exercices pratiques.

« Bienvenu ! Moi, c’est Eve. » Son sourire devient solaire. « On ne t’a pas assigné de professeur, à ton arrivée ? Ou alors … tu lui as faussé compagnie ? » Elle pose ses mains sur ses hanches en fronçant les sourcils, sans perdre son sourire. Son imitation peu crédible de matrone s’apprêtant à gronder son bambin finit par voler en éclat et elle éclate de rire. « Bah. Peu importe. Tu visites juste, où tu t’installes ici définitivement ? » Lentement mais surement, elle se met en route vers la porte de la bibliothèque, jugeant inutile de lui présenter l’endroit plus en détail… jusqu’à ce que son regard ne soit capter par un livre à la couverture rouge, au milieu d’une étagère bourrée à craquer. Brutalement, elle se détache de son interlocuteur et s’en empare avant de l’ouvrir et de quitter les lieux en espérant que le petit nouveau la suive toujours. Les yeux plongés dans l’ouvrage qui retrace les aventures de la famille Rédraike, Eve finit par demander au jeune homme, sur le pas de la porte.

« Pour le dortoir, j’irais chercher un étudiant, parce que je n’ai pas le droit d’y mettre les pieds. Du coup, par quoi commence-t-on ? »

Feat Kuroshi

Un sourire narquois nait sur les lèvres d’Eve lorsque la voix de son interlocuteur fait un tremolo. Sa main quitte les pages qu’elles tournaient à bon rythme pour dissimuler son amusement. Elle n’a pas prévu de lui vendre la mèche tout de suite.

« Tu ne m’as pas dit ce par quoi tu voulais commencer, Kuroshi ! » Elle lève la tête et ferme les yeux un bref instant avant de lui offrir une moue solaire et chaleureuse. « Je ne connais pas très bien les dortoirs. Je risque plus de me perdre que de t’emmener devant la bonne porte. » Eve tourne une nouvelle page puis fait mine d’examiner les différents couloirs en réfléchissant. Passer par la section démocratique ne lui paraissait une bonne option mais, malgré tout, elle devrait songer à aller faire un crochet à l’administration pour récupérer l’affiliation et les divers papiers dont aurait besoin Kuroshi. A moins qu’il n’ait eu l’idée de le faire seul ?  « Tu vas étudier dans quelle classe, déjà ? On ne pourra pas rentrer mais au moins, demain tu pourras être à l’heure . »

Les pas de la blondinette les guide tranquillement vers l’aile dédiée à la Démocrat’ alors qu’elle continue de feuilleter son ouvrage en écoutant le nouvel étudiant. Peu douée pour nouer une véritable conversation, elle finit par lui répondre par monosyllabe à défaut de réellement trouver un sujet de conversation. Peu à peu, le silence se fait lourd mais bien vite, l’ambiance dans la salle de classe de Miss Reinhart comble le vide. Un léger courant d’air caresse les jambes de la professeur et des dizaines de cri de jeune femme excédées traversent la porte fermée de la salle. En jetant un œil par la vitre, juchée sur le pointe des pieds, elle se met à sourire. Dans un coin, un tas de culotte encombre une table, le tout cerné par autant de lapin à corne que d’humain aux uniformes colorés. D’un geste, elle invite Kuroshi à admirer le spectacle.

« Ça, c’est la Démocrat’. C’est toujours un peu le bazar mais ils sont gentils. Mlle Reinhart et M. Faust sont assez … efficace en leur genre . » Elle ne peut se retenir de pouffer quand l’une des filles fait mine de viser son camarade voleur de sous-vêtement avec un sort.  « Si un jour tu t’ennuies, fais-y un tour. Tu ne seras pas déçu . » Quittant son point d’observation, Eve tourne sur elle-même et referme le livre avec délicatesse avant de le coincer contre son cœur avec ses deux bras.

« Où veux-tu aller ensuite ? Tu as déjà vu la bibliothèque. Il ne reste que la salle d’entrainement, celle des prof’s, le mess, l’administration, les Neutre et les Aristo’ . »

Feat Kuroshi