Revenir aux sources est quelque chose de primordial. Bien que tu aies vécu légèrement à l'extérieur de Saint-Pétersbourg durant toute ta vivante jeunesse, tu as toujours considéré appartenir à cette ville – et c'est pourquoi tu y as acheté un appartement il y a fort longtemps, qui se revendrait à prix d'or aujourd'hui. Et, puisque tu accomplis ce rituel tous les ans, tu n'as absolument pas été surprise par l'immense marché de Noël mis en place pour les festivités prochaines. Bannie ou non par ta bien aimée orthodoxie, il y a bien une chose dont tu te réjouis toujours autant malgré sa signification : Noël. Il s'agit, d'ailleurs, de la seule chose que tu aies conservé de ton ancienne religion – les jours de jeûne, ce n'est plus vraiment ton truc.
Qui plus est, s'il y a bien une raison pour laquelle tu prétends avoir dix-neuf ans, c'est bien parce que tu es considérée comme étant majeure dans ton pays. Tu ne t'imagines pas reprendre les vingt-trois de ta mort, et dans tous les cas, au vu de ton apparence, personne ne te croirait. Donc dix-neuf c'est très bien. C'est ainsi, que tu es sortie vers quinze heures – le soleil se couchant rarement après seize heures à cette période de l'année – avec une petite ombrelle dans une main et un verre de vin chaud dans l'autre. Tu croises une autre apôtre, que tu salues poliment d'un signe de la tête mais tu ne t'attardes pas plus que ça étant donné l'importante tâche que tu dois accomplir : trouver le plus beau des cadeaux pour la plus belle des personnes.
Un sourire béat s'installe sur ton visage alors que tu penses à Isaak qui ouvre ses – trop nombreux – présents et qui te remercie. Cet avenir, aussi probable puisse-t-il être, rendrait ton année totalement rentable en termes de bonnes choses / mauvaises choses. Les passants s'inquiètent certainement en te voyant passer avec ton air de fangirl. C'est pas grave, ils serviront de présents eux aussi ! Tu t'arrêtes soudainement de marcher. En voilà un bon cadeau ! Une réserve de sang. Mais la qualité sera forcément moins bonne que le tien. Le gobelet de vin jeté, tu reprends ta route avec tes instincts plus alertes que jamais. Provoquer un carnage en pleine foule est amusant, mais tu risquerais de mélanger les odeurs et donc de ne pas trouver ce que tu veux.
À croire que le destin – ou le hasard, même si tu en doutes – fait bien les choses vu la fragrance qui a envahi l'air ambiant. Tu fais un demi-tour sur toi-même en même temps que tu fermes ton ombrelle. Que du sang vienne perturber ton odorat dès que les lumières de la ville se sont allumées au vu du manque de soleil, tu penses en effet que le hasard n'y est pour rien. Ce parfum ne conviendrait pas comme cadeau, mais si tu peux, au passage, trouver un endroit où accomplir une petite mutinerie en paix, tu ne dis pas non. C'est ainsi que tu te retrouves à te diriger vers la source de la potentielle résolution de l'objectif « faire plaisir au petit frère le plus incroyable de la Terre. ».
À destination, tu hausses un sourcil devant le spectacle qui s'offre à toi. Apparemment, tu n'étais pas la seule à chercher un coin tranquille pour tuer des gens. Tu vois une bande de trois lascars encapuchonnés qui sont en train de battre une personne déjà morte. Leur sadisme atteindrait presque ton niveau à certains moments. Tu penses appeler la police pour faire preuve de bonne citoyenneté pendant un court instant, puis tu te dis que ça serait bien trop difficile après pour chercher une poche humaine gorgée de sang. Cette pensée se confirme quand tu remarques tardivement que le sang de la victime a une couleur proche du noir. Ils ont tué l'apôtre que tu as croisé tout à l'heure. Pile quand il commence à faire noir, que les créatures nocturnes se mettent à sortir... Et que ces mêmes créatures seront forcément attirées par l'odeur du sang, toi la première il semblerait.
Ce n'est définitivement pas le fruit du hasard. Rien qu'un piège grossier dans lequel tu as foncé.
Tu es peut-être sûre de ce que tu vaux et de ce que tu es capable de faire, tu n'es tout de même pas suicidaire. Tu penses t'en sortir en deux contre un, mais pas en trois contre un. En plus, il te manque quelque chose de vital : ton bouclier. Ce n'est pas vraiment quelque chose que l'on prend pour aller faire du shopping, donc tu l'as jugé encombrant. Plus jamais tu ne feras cette erreur. La marché de Noël est à deux rues de l'endroit où tu te trouves. Qu'est-ce qui pourrait te faire office de bouclier ? Pas l'ombrelle non. Tu as déjà une idée de ce que tu as besoin, mais encore, faut-il le trouver. Tu recules donc à pas de loup jusqu'à tomber sur un bar – ce qui n'est pas très difficile à Saint-Pétersbourg. Tu attrapes un tonneau dehors que tu fais basculer pour mesurer son poids, mais il est bien plus léger que ce que tu imaginais.
Et le voilà qu'il tombe par terre, réveillant tout le quartier qui était endormi à l'abri des festivités.
Tu ne prends même pas le temps de juger s'ils t'ont remarquée ou non, puisqu'il est évident que c'est le cas. Tu jures mentalement contre la rue qui est beaucoup trop bien déblayée pour que les gens aient un accès facile au marché, alors que d'ordinaire, elle aurait été totalement enneigée – et ça aurait donc amorti la chute du tonneau. L'ombrelle te sert de canne de substitut et tu brises l'objet de bois en donnant un coup bien trop violent pour ce qu'une personne de ton gabarit est censée pouvoir faire. La panique et l'excitation d'être, pour une fois, à mal face à des humains, te font totalement perdre tes moyens.
Pas à pas, les deux hommes, ainsi que la femme qui constituent ce groupuscule, s'avancent vers toi. Tu continues de reculer en attrapant le plus de planches de bois possible, que tu superposes avant de les lier avec ton écharpe et de les poser au bon endroit. Tu pourras te défendre avec ça, même si la superficie est moindre, il suffit juste de parer au bon moment – même si ce n'est pas du tout ton point fort. En temps normal, tu les aurais provoqués. Mais tu n'es pas en position de le faire. Eux, cependant...
Dire qu'on pensait les avoir tous exterminés il en reste encore une ! Regardez comment elle nous craint, notre réputation nous précède !
Une veine d'énervement apparaît sur ton front tandis que tu serres comme tu peux ton écharpe-bois le long de ton bras gauche. Non, tu ne les connais pas. Non, tu ne les crains pas. Jouer est juste plus amusant que persécuter. Chacun son délire.
Eh, méfie-toi quand même, on sait pas de quoi ces choses sont capables. Tu sais qu'ils peuvent nous bouffer hein ?
Ouais mais on a l'avantage du nombre. Et de la stratégie. Regarde ça. Puis on a encore une semaine pour chasser les résistants. Donc même si elle fuit, on pourra la retrouver.
Vous savez que j'vous comprends ou merde ?!
Tu étais fin prête et tu avais prévu de bien les prendre à revers en attrapant les deux sur le côté pour frapper celui du milieu avec leurs têtes – et donc d'une pierre trois coups. Mais à peine avais-tu fais deux pas que tu avais senti quelque chose te retenir. Tu ne pouvais plus bouger. Et te voilà donc retrouvée prise au piège. Tu n'y connais absolument rien en magie – les cours de ta maîtresse apôtre étaient vraiment très très très théoriques donc tu n'as jamais rien écouté – alors, évidemment, tu n'es pas en mesure de voir ce qui t'a été fait. Par contre, tu sais que tu es grandement dans le pétrin.
Et qu'il va falloir que tu uses à ton tour de ta magie, même si tu as horreur de ça.
Au bruit des pas, tu comptes, qu'en plus des trois que tu as en face de toi, il y a au moins deux autres personnes derrière toi. Un piège parfaitement donc calculé pour éradiquer la menace.
Quel manque de fair-play. Un groupe contre une personne.
T'es pas une personne, monstre.
Qui est le monstre ? Alors que vous me chassez comme un vulgaire animal et que vous tuez sans aucun remord ? Ah, je me demande qui est le monstre alors que je cherche juste à ne pas mourir une seconde fois, vous savez, c'est un sentiment très désagréable, de mourir.
Tu n'en as pas la moindre idée puisque tu n'en as pas le moindre souvenir. Mais ils ne savent pas ça, et ça te laisse bien assez de temps pour te concentrer et épuiser presque toutes tes réserves de mana. Depuis ces paroles, ils sont venus à te frapper, et malgré l'objet de défense improvisé que tu t'es fabriquée, vu que tu ne peux plus bouger, tu ne peux pas riposter.
Je vous l'avais dit ! Par la ruse, on peut prendre un lion, par la force, pas même un grillon !
Et voilà qu'il se met à sortir des proverbes. Mais à vrai dire, tu en as aussi en stock. Tu encaisses, encaisses et voilà qu'ils commencent à avoir aussi mal que toi. Frapper sans relâche une personne résistante physiquement est aussi épuisant que de perdre tout le mana que tu viens d'utiliser. Il doit à peine t'en rester un pour cent. C'est peu, et tu commences à tourner de l'oeil. Ton sort est quelque chose de pratique pour que ton corps puisse faire face à toute chose, mais ton mental ne suit plus et il te devient très difficile de penser de manière cohérente. Tes instincts feront le travail pour toi. Tu forces sur cette prise invisible, de laquelle tu arrives à te détacher, mais tu roules sur le côté.
Encore une fois, ils se précipitent sur toi et recommencent à te battre. Ah, tes forces te lâchent. Tu as été à leur merci trop longtemps et ton mana est vraiment au plus bas. Tu te protèges avec les planches de bois de ton bras, faisant résonner un bruit sourd dans leurs esprits. Être musicien a du bon, d'autant plus quand on peut insuffler ça aux objets. Tu rampes plus ou moins pour attraper ton ombrelle, qui te sert d'appui pour te relever, le temps que leurs esprits soient encore confus. Une fois debout, tu craches du sang et tu leur souris.
On ne tue pas le loup parce qu'il est gris, mais parce qu'il a tué la brebis, enfoiré. Et j'ai rien tué du tout.
Et c'est de cette façon que tu t'enfuis. À bout de souffle et le corps couvert d'ecchymoses, tu fais ce que tu peux pour qu'ils ne retrouvent pas ta trace. Rentrer chez toi est trop risqué. Tu utilises un escalier de secours dès que tu en vois un pour monter sur un toit, et faire ta route à partir d'ici. Au final, tu n'auras pas trouvé ta poche de sang. Mais ça ne saurait tarder. Il y a d'autres marchés que tu seras en mesure de parcourir avant Noël.